Ma est un concept né au Japon‚ difficilement traduisible
mais développé en France par Roland Barthes dans les années
70‚ il tend à rendre palpable le vide‚ ou plus précisément
l’intervalle entre les choses. Le mot Ma est noté par un caractère composé d’un
graphe désignant le soleil entre deux battants de porte.
« Distance existant naturellement entre deux ou plusieurs objets placés l'un à la suite de
l'autre‚ l'intervalle‚ espace ou vide entre deux éléments‚ ou encore actions successives ;
intervalle‚ temps de pause existant entre deux ou plusieurs phénomènes se déroulant
l'un à la suite de l'autre [1]. »
« Si nous sommes à peu près familiarisés‚ avec les idées de temps et d'espace‚
le Japon‚ lui‚ ne semble pas pratiquer cette distinction. Ce qu' il sent‚ ce qu'il exprime‚
c'est quelque chose de commun à l'espace et au temps ; toute relation‚ toute séparation
entre deux instants‚ deux lieux‚ deux états : Ma [2]. »
« Dans les pavillons de thés‚ on fait tout pour éviter de donner le sentiment que les piliers
supportent du poids ou s'élancent vers le ciel‚ on fait en sorte qu'ils apparaissent légers‚
extrêmement légers‚ comme s' ils flottaient dans l' air. Mais cette légereté a quelque chose
de terriblement tendu. Elle donne l'impression de vouloir se maintenir à tout prix à
l'endroit où elle se trouve‚ un endroit inamovible‚ qui ne peut être nulle part ailleurs ni
devant ni derrière‚ au sein d'un ordre donné de l'univers.
La notion de ma que les artistes utilisent fréquemment en japonais‚ ce ma qui s'emploie
à la fois pour le temps et l'espace et qu'on trouve dans maai‚ ma ga au‚ ma ga nukeru‚
ma ni hamaru‚ ma ga nobiru‚ ma ga chijimu.
Le temps dans l'art japonais est précisément celui du ma. Alors qu'on pense
généralement le temps comme quelque chose qui s'écoule de manière continue tel un fil‚ il est en l'occurrence coupé et donne à sentir que le moi véritable est mouvant et se renouvelle.
Le temps écoulé stagne s'il poursuit sa route sans entrave. Alors que quand il est
interrompu‚ purifié et appelé à renaître‚ il est vraiment vivant.
Ce qu'on appelle le ma est ce laps de temps‚ cette coupure‚ cet écho au cours duquel on
se rappelle qu'on est en vie. » [3].
1. Cf. Isozaki Arata‚ La notion d'espace temps
au Japon ‚ trad. C. Polak‚ MA Espacetemps
du Japon‚ Paris‚ Musée des Arts
décoratifs‚ 1978 (non pagin.).
2.Roland Barthes‚ L'intervalle ‚ Le Nouvel
Observateur‚ 23 octobre 1978 ; OEuvres complètes‚
vol. V‚ Paris‚ Seuil‚ 1995‚ pp. 475-476.
3.Nakai Masakazu‚ Bigaku nyūmon
(Introduction à l'esthétique)‚ Tōkyō‚
Iwanami shoten‚ 1951‚ ; Nakai Masakazu
zenshū (OEuvres complètes de Nakai
Masakazu .‚ plus loin NMZ)‚ vol. III‚ Tōkyō‚
Bijutsu shuppansha‚ 1981‚ pp. 35-36.
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